Le délicat « en même temps » du rapport Delevoye

Habile, le rapport Delevoye sur les retraites a – au moins le temps de la trêve estivale- réussi à apaiser le débat sur l’âge de départ dans le futur système de retraite. Il n’élude pourtant pas le sujet. Mais il assume de faire « en même temps » une réforme systémique et une réforme paramétrique.

Était-il d’ailleurs possible de faire autrement ?

Changer le système, c’est changer les paramètres !

Changer le système implique de toute façon changer les paramètres de beaucoup de monde. Les paramètres d’un régime de retraite, quelles que soient ses modalités techniques, ce sont : l’assiette et le taux de cotisation ; la durée pendant laquelle on les verse ; le niveau des pensions envisagés.  Ainsi le rapport Delevoye fixe les paramètres du futur régime, les mêmes pour tous.

Malgré des rapprochements engagés par les précédentes reformes, des différences sensibles persistent aujourd’hui sur certains paramètres entre les 42 régimes existants.  Ainsi, par exemple, la réforme va modifier les assiettes et les taux de cotisation pour les fonctionnaires. Le niveau des pensions ne sera plus « défini » a priori comme aujourd’hui pour les fonctionnaires comme pour le régime de base du privé, mais calculé à posteriori en fonction du nombre de points acquis…

Il y a donc une certaine incongruité à réclamer une réforme systémique qui ne soit pas paramétrique !

Le sujet sensible, c’est l’âge

En réalité, le sujet sensible, LE paramètre que surveillent les actifs et fait grincer les dents des partenaires sociaux, c’est celui de l’âge ou de la durée de cotisation. Comme si pour les salariés il était plus important de savoir « quand je pars ? » plutôt que « combien ça me coûte ? » … Du côté des employeurs on rajoute souvent la schizophrénie de vouloir repousser l’âge de départ sans garder les seniors dans l’emploi…

L’habilité du rapport, fruit d’une longue concertation avec les partenaires sociaux, s’est déployée en deux mouvements.

Le premier en réussissant à écarter -pour le moment- l’option de mesures d’âge et/ou de durée dès le PLFSS 2019. Une mesure purement paramétrique qui aurait entamé la confiance et le sens de la réforme.

Puis, en embarquant dans la réforme les outils qui doivent permettre d’ajuster les paramètres : l’âge pivot et la règle d’or.

Comme aujourd’hui, le futur système va continuer de différencier l’âge légal celui auquel vous pourrez partir (62 ans comme aujourd’hui), et l’âge à partir duquel vous pourrez partir à taux plein : aujourd’hui vous devez avoir, en plus de l’âge légal, 43 ans de cotisation, demain vous devrez avoir atteint un âge dit « pivot », fixé dans un premier temps à 64 ans, et qui évoluera selon l’augmentation de l’espérance de vie[1].

Sur le long terme, il appartiendra au « pilotage » d’adapter ces paramètres.  Il devra le faire un prenant en compte 5 objectifs : liberté, équité, niveau de vie des retraités, liberté de choisir sa date de départ, et soutenabilité économique et financière du régime … tout en respectant une règle d’or : le régime doit assurer son équilibre sur des périodes de 5 ans. La pression va donc continuer à être forte sur les paramètres ! Le poids respectif des partenaires sociaux et du gouvernement dans le pilotage sera donc un enjeu majeur pour que le « projet de société » que constitue la réforme des retraites ne tourne pas à l’adaptation paramétrique au gré des changements de gouvernement.

Travailler plus pour gagner plus en retraite

Aujourd’hui comme demain il faudra « en même temps » concilier l’équité du système et sa soutenabilité. Et pour assurer la pérennité de nos retraites et réinstaurer une confiance qui fait défaut, notamment aux jeunes, rien ne sert d’ignorer les injonctions de la réalité : nos retraites aujourd’hui comme hier dépendent et dépendront : du niveau de prélèvement que nous acceptons sur nos revenus, du niveau de revenu de remplacement que nous attendons une fois en retraite, de la durée pendant laquelle nous cotisons au regard de notre espérance de vie.

Or l’arbitrage entre ces trois paramètres, nous l’avons fait au fil des réformes précédentes. Parfois sans le savoir. En 1993 la réforme Balladur a choisi de baisser progressivement le montant des pensions dans le privé, via un mécanisme que peu ont compris sur le moment, mais qui produit des effets sensibles sur les retraités d’aujourd’hui. Les réformes suivantes ont plutôt choisi d’agir sur les âges de départ ou les durées de cotisation. En 2014, nous avons collectivement acté de consacrer 2/3 de nos gains d’espérance de vie à cotiser pour garder un niveau de retraite convenable pendant 1/3 de temps supplémentaire !

La réforme proposée dans le rapport reprend cette logique de cotiser plus longtemps si on vit plus longtemps. Et elle va plus loin en mettant un coup d’arrêt à la dégradation du niveau des pensions en cours dans le privé depuis Balladur, et dans le public via le gel du point d’indice et la politique des primes (le rapport propose de les réintégrer dans le calcul des retraites). C’est la bonne nouvelle de la réforme.

Certains objecteront que l’on pourrait plutôt augmenter les cotisations. Mais est-ce raisonnable alors que la retraite représente déjà 14 points de PIB, et l’heure ou d’autres risques doivent être financés (santé, perte d’autonomie …) ?  Il n’est pas certain que ceux qui le proposent aient vérifié que les citoyens y consentent…

Le deal proposé par le rapport parait raisonnable et cohérent avec les transformations sociétales : on vit plus longtemps en bonne santé, et on forme des projets pour sa retraite qui nécessitent un certain niveau de vie… on doit travailler plus longtemps pour le financer.

Par ailleurs, s’il est normal de proposer des départs anticipés aux personnes qui ont des carrières longues ou des métiers pénibles, on pourrait imaginer des modalités plus flexibles de fin de carrière pour ceux qui aspirent à garder un lien avec le travail. Imaginer des formes de « travail à la carte » en fin de carrière répondrait aux aspirations de beaucoup. Et pourquoi pas d’ailleurs permettre une gestion plus souple de son temps de travail tout au long de sa carrière, avec la création d’un compte épargne temps pour tous ?

Le plus délicat reste à venir

A ce stade, le rapport Delevoye opère un choix malin et responsable, qui tient les promesses de la réforme, en termes de lisibilité et de confiance notamment pour les jeunes.

Mais… une question et un piège demeurent tapis dans le rapport.

La question est simple :  pour que le pari soit réellement tenu, quel est le niveau de revenu de remplacement que le régime assurera aux retraités ? les quelques cas types proposés dans le rapport n’éclairent pas suffisamment la question. Elle sera pourtant centrale dans la phase de concertation qui s’ouvre. 

Le piège se trouve page 112 du rapport : le système de retraite devra être à l’équilibre avant la mise en place du régime universel en 2025. Or les projections du COR indiquent qu’il ne le sera pas. Il faudra donc d’ici là des mesures … paramétriques !

Retour à la case départ pour la concertation qui va reprendre et qui s’annonce décidément « délicate ».


[1]            Les carrières longues et les personnes subissant de la pénibilité au travail pourront continuer à partir plus tôt.

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