Saison 1 Episode 2 de la série « Delevoye et les fonctionnaires »… après l’assiette, les taux, le mode de calcul, et l’âge … il y a aussi les services actifs, les droits conjugaux et familiaux qui changent !

La fin programmée des services actifs
Le rapport préconise la suppression de la plupart des services actifs. En contrepartie il y aurait extension de la pénibilité. Le compte professionnel de prévention (C2P) serait généralisé afin d’appliquer les mêmes droits pour un même métier quel que soit le secteur, public ou privé. Une concertation doit s’ouvrir pour aménager le C2P.
L’extinction des départs anticipés des régimes spéciaux et de la fonction publique serait très progressive.
· ils seraient maintenus pour ceux qui auront 17 ou 27 ans de durée de service en catégorie active avant le 31/12/2024
· Pour les autres, l’âge d’ouverture des droits serait augmenté de 4 mois tous les ans : pour les départs aujourd’hui possibles à 57 ans, ils seraient repoussés jusqu’à 62 ans pour la génération 1982.
Pour les départs possibles aujourd’hui à 52 ans, le relèvement progressif de l’âge débutera pour la génération 1973 et sera à 62 ans pour la génération 2002.
Des départs anticipés pour les fonctions dangereuses exercées dans le cadre de missions régaliennes seraient maintenus. Il s’agit notamment des missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique. (Policiers, surveillants de l’administration pénitentiaire à 52 ans, des sapeurs-pompiers, douaniers, policiers municipaux à 57 ans). Cela représente environ 20 % des effectifs actuels de catégorie active.
- La mise à la retraite pour invalidité, autre spécificité du régime des fonctionnaires, sera remplacée par un nouveau dispositif d’invalidité permettant l’acquisition de droits à retraite comme dans le secteur privé.
- Les droits conjugaux et familiaux : on harmonise et on modernise !
Là, ça change pour tout le monde. Mais le pas à franchir est plus grand pour les fonctionnaires que pour les salariés du privé.
Les droits familiaux
Les majorations de durée d’assurance ne devraient donc plus exister dans leur forme actuelle. En revanche, des points seraient attribués pour les congés maternité et certaines périodes d’interruption d’activité.
Les majorations de pensions pour les parents de trois enfants et plus seraient remplacées par une majoration de 5% par enfant dès le premier enfant, attribuée à un des parents ou partagée au choix du couple. A défaut de choix aux 4 ans de l’enfant ou lors de l’adoption, la majoration serait attribuée à la mère.
Aujourd’hui dans la fonction publique, chaque parent de 3 enfants bénéficie de 10% de majoration de pension et de 5% supplémentaire pour les enfants suivants.
Ainsi dans une famille de 4 enfants, chacun des parents a aujourd’hui 15 % de majoration de pension.
A l’avenir, seul un des parents bénéficierait de 20 % de majoration. Si les parents n’en décident pas autrement avant les 4 ans de l’enfant, ce serait la mère.
Dans une famille d’un ou deux enfants qui n’a aucune majoration aujourd’hui, il y aurait une majoration de respectivement 5 ou 10% pour un parent.
La proposition ne parait pas tout à fait bien ficelée pour l’instant. En effet, si la majoration reste proportionnelle à la pension, les parents risquent de préférer l’attribuer au parent dont la rémunération est la plus élevée, soit dans la plupart des cas, le père. C’est pourtant en général la mère qui subit sur sa carrière les effets de la survenue d’enfants.
Il y a fort à parier que les concertations et débats parlementaires la feront évoluer. L’idéal serait une majoration forfaitaire. Les mères ne seraient pas lésées dans les arbitrages du couple. La redistribution vers les revenus les plus bas serait meilleure.
La réversion
A juste titre le rapport propose d’harmoniser les règles existantes au profit d’un seul régime[1]. Rien en effet ne peut expliquer que l’on traite différemment un ou une veuf.ve selon le statut de son conjoint !
Le rapport se fixe comme objectif de maintenir le niveau de vie du conjoint survivant. Pour ce faire il propose de lui garantir (à partir de 62 ans) 70% des droits à retraite du couple[2].
Les précédentes unions ne seraient pas prises en compte. Il appartiendrait au juge de les compenser au moment du divorce le cas échéant.
Aujourd’hui les fonctionnaires bénéficient de la réversion sans condition d’âge ni de ressources. Un conjoint de fonctionnaire peut ainsi cumuler sa retraite propre avec 50% de celle de son conjoint décédé, à condition d’être marié depuis au moins 4 ans (ou d’avoir été marié 4 ans et ne pas s’être remarié).
Mais il faudra attendre d’avoir des cas-types chiffrés pour mesurer les effets de la règle proposée avec précision.
Il faudrait vérifier en particuliers qu’il y a une réelle redistribution vers les femmes et une réduction globale des inégalités.
Pour les fonctionnaires, c’est un véritable « changement d’univers » qui s’annonce, sur le sens, comme sur le contenu des droits.
Mais ça change lentement. Les effets sur le taux de remplacement ne se feront sentir qu’à moyen/long terme. Les conditions de départs pour les actuels services actifs sont modifiées très progressivement.
Ce n’est pas encore mesuré avec précision, mais la réforme fera des perdants (les carrières longues et ascendantes) et des gagnants (carrières courtes, plates, poly pensionnés, parents d’un ou deux enfants).
Parmi les éléments positifs de cette réforme, le coût des retraites ne sera plus un élément d’arbitrage dans l’embauche d’un contractuel plutôt qu’un titulaire. Dans le contexte de la réforme de la fonction publique, il est bienvenu d’adresser ainsi aux agents titulaires et contractuels le message d’appartenance à une seule collectivité de travail et de contribution « au service de la nation » !
Pour revoir l’épisode 1, cliquez sur https://repartition.home.blog/?p=250
[1] La nouvelle règle ne s’appliquerait pas aux personnes déjà en retraite au 31 décembre 2024.
[2] Le texte parle bien de « 70% des pensions » ne dit pas ce qu’il se passe quand le conjoint survivant n’est pas encore retraité.
Chapitre réversion: « Les précédentes unions ne seraient pas prises en compte. Il appartiendrait au juge de les compenser au moment du divorce le cas échéant. »
Ce dernier point pose un problème d’équité.
L’article 271 du code civil stipule que: « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. »
La Cour de Cassation souligne régulièrement l’impératif de prévisibilité des éléments entrant dans la détermination d’une prestation compensatoire en cas de divorce. Par exemple:
1- Il ne peut être tenu compte de la vocation successorale (Cass. civ. 1, 21 septembre 2005, n° 04-13.977.
2- Les perspectives de versement d’une pension de réversion en cas de prédécès du mari ne peuvent pas être prises en compte (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-15.346).
La logique incite à penser que le point 2 doit s’appliquer dans les 2 sens. SI la perspective de versement d’une pension de réversion en cas de prédécès du mari ne peut pas être prise en compte (aux fins de réduire le quantum de prestation compensatoire) parce que n’étant pas un avenir prévisible, la logique invite à penser réciproquement que la suppression d’une perspective de pension de réversion ne faisant pas partie d’un avenir prévisible, elle ne peut pas être prise en compte aux fins d’augmenter le quantum d’une prestation compensatoire. La pension de réversion n’est pas un avenir prévisible ne serait-ce qu’à cause des changements de réglementation, la preuve en ce moment.
L’objectif d’une pension de réversion semble être de maintenir le niveau de vie du survivant, le coût du maintien étant supporté par la collectivité. La procédure de maintien du niveau de vie ne peut se déclencher qu’à la mort de l’un des 2 conjoints. Mais la mort d’un ex-conjoint plusieurs dizaines d’années après le divorce n’affecte en rien le niveau de vie de l’ex-conjoint survivant, sauf s’il percevait une rente viagère.
On peut donc dire que même dans le système actuel, le maintient de la pension de réversion aux ex-conjoints est une aberration car l’article 270 du code civil dispose que la prestation compensatoire: « a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge ».
L’article 276 du code civil dispose que « A titre exceptionnel, le juge peut, par décision spécialement motivée, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère ». Lorsque le débiteur d’une prestation compensatoire en rente viagère décède, le créditeur de la rente perçoit un capital calculé après avoir déduit la pension de réversion de la rente viagère qu’il percevait, ce capital étant saisi sur la succession du débiteur.
Mais il peut ne pas y avoir de pension de pension de réversion. Par exemple lorsque le débiteur ne vivait que de ses rentes ou encore lorsque le créditeur s’est remarié.
Par conséquent il existe d’ores et déjà des situations acceptées par la collectivité, dans lesquelles le fait de ne pouvoir bénéficier d’aucune réversion n’ouvre droit à aucune compensation. C’est parfaitement logique puisque la pension de réversion est un avantage non contributif.
Dans ces conditions on comprend mal qu’à l’occasion de cette réforme des retraites, l’on fasse payer à l’un des 2 conjoints la perte de perspective du versement d’une pension de réversion de caractère aléatoire.
Mais au delà de ça, personne ne peut dire quelle sera la réglementation applicable à la réversion 20/30 ou 40 ans après le divorce, au moment du décès de l’ex-conjoint. Par conséquent comment pourrait-on faire payer immédiatement la perte d’une espérance de gain dont on ne sait ce qu’elle recouvrera au moment où il pourrait se concrétiser ?
Personne ne peut dire non plus lequel des 2 conjoints décèdera en premier. Il se peut donc que cette espérance de gain soit annulée par la nature elle-même.
Même à réglementation constante, personne ne peut prédire quel aurait été le montant de la réversion si le mariage s’était poursuivi jusqu’à la mort, car personne ne peut prédire la façon dont aurait évolué la carrière de chaque conjoint.
La logique conduit donc à dire qu’il n’y a pas à indemniser la perte d’une espérance de gain, d’autant que les conjoints ne peuvent pas se promettre la réversion puisque personne ne peut exiger le maintien d’une réglementation.
On peut d’ailleurs noter qu’après le divorce, chaque conjoint perd l’espérance d’hériter d’une partie des biens propres de l’autre et que cette perte d’espérance n’est pas indemnisée, qu’il s’agisse de biens propres existants ou de biens propres futurs qui résulteraient d’une vocation successorale.
Il faut aussi remarquer que la problématique des droits à la retraite est déjà prise en compte à l’article 271 du code civil:
» le juge prend en considération notamment : leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa »
c’est à dire
« leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ».
Je terminerai en remarquant que dans sa décision n°2019-778 du 21 mars 2019, le Conseil Constitutionnel rappelle que des personnes privées en charge d’une mission de service public n’ont pas compétence pour modifier une décision de l’autorité judiciaire. La privation de propriété (paiement d’une prestation compensatoire, confiscation d’un bien pour réattribution à une autre personne) ne pouvant être prononcée que par l’autorité judiciaire, on comprend mal qu’un organisme de sécurité social (le futur RU s’il voit le jour) puisse jouir de ce pouvoir, les droits à la retraite étant selon le code civil des biens propres par nature (article 1404 du code civil), cf Cour de Cassation là aussi.
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