La réforme et après ?: quelques réflexions sur la gouvernance du régime universel

La question de la gouvernance du futur système de retraite peut apparaître comme un sujet annexe et techno. Pourtant, il est capital : c’est la gouvernance qui surveillera, pilotera, fera évoluer le régime dans les années à venir. La question de la gouvernance peut se résumer ainsi : A qui on donne les clés de nos retraites pour l’avenir ? il faut donc s’y intéresser !

La gouvernance, à quoi ça sert ?

Avant de savoir à qui on confie la gouvernance, il faut se demander pour quoi faire ?

Alors repartons du début : pourquoi on fait cette réforme, au fait ? L’ambition de départ de la réforme des retraites est une rénovation, une refondation de notre contrat social.

Le premier enjeu, de loin le plus important pour un système qui organise la solidarité entre plusieurs générations, est de rassurer sur la pérennité de nos retraites. La confiance dans l’avenir de nos retraites a été mise à mal par les réformes successives, les discours anxiogènes, l’évolution de la démographie … il faut montrer que cette réforme le consolide.

Le deuxième objectif est de mettre fin à un certain nombre d’inégalités. Même s’il est admis que les retraites ne sont pas faites pour corriger toutes les inégalités subies dans la carrière, elles ne doivent pas les aggraver, et au contraire permettre à chacun de vivre dignement en retraite.

Enfin, la réforme doit prendre acte que le monde a changé depuis l’après-guerre, et que nombre des dispositifs doivent s’adapter aux évolutions de la société, notamment aux évolutions du monde du travail.

La gouvernance doit être construite pour répondre à ces trois objectifs, dans ses missions, ses acteurs et ses outils.

Le rapport du haut commissaire à la réforme des retraites le dit d’ailleurs clairement : Il ne s’agit pas pour la gouvernance de veiller seulement à l’équilibre financier du régime mais aussi de veiller à l’atteinte de ses objectifs sociaux.

Bien sûr, le pilotage financier demeurera un enjeu majeur. La confiance dans la pérennité de notre régime en dépend. La règle d’or proposée par le rapport (garantir l’équilibre à 5ans du régime) fait partie des principes qui doivent rassurer quant à la solidité du système. L’âge (ou la durée ?) pourrait évoluer automatiquement en fonction de l’espérance de vie. La revalorisation des droits acquis sur l’évolution du salaire moyen et celle des retraites sur l’inflation, devraient également s’appliquer sans l’intervention de la gouvernance. Mais des dérogations seraient possibles, des paramètres pourraient évoluer dans le temps : il ne s’agit donc pas d’un pilotage automatique puisqu’il est possible de reprendre les commandes, soit que le régime dérive de son équilibre financier, soit en cas de difficulté conjoncturelle comme une crise économique ou une crise sociale. Ce pilotage « quasi automatique » mais « sous surveillance »  est de nature à éviter les réformes à répétition et les crispations que suscite chacune d’entre elles. Il devrait aussi permettre d’éviter des décisions politiques conjoncturelles qui éloigneraient le régime de ses objectifs.

C’est nécessaire pour redonner de la visibilité, de la solidité, et la confiance dont on a besoin pour susciter l’adhésion notamment des jeunes générations.

Les objectifs sociaux doivent être traités avec le même sérieux que l’équilibre financier car il y a là aussi des enjeux d’efficacité du système, et de confiance. Il y a un équilibre social qui va de pair avec l’équilibre financier.

Parmi ces objectifs sociaux, certains sont intrinsèques au régime, directement liés à la retraite : les conséquences des nouvelles règles de la réversion et des avantages familiaux sur les niveaux de pensions, les conséquences des nouveaux paramètres sur le taux de remplacement des différentes catégories socio professionnelles, et par genre, plus globalement l’équité homme/femme, l’évolution du niveau de vie des retraités, de l’espérance de vie en bonne santé …

Mais s’agissant d’un projet de société, il faut aussi regarder les interactions du système des retraites avec d’autres droits ou comportements sociaux : l’évolution de l’emploi des seniors, les progrès (ou non) de l’égalité professionnelle, l’évolution des conditions de travail et de la prévention de la pénibilité, le développement des modes de garde permettant l’insertion professionnelle des femmes… voire la jurisprudence concernant les compensations accordées par les juges au moment du divorce et qui dont amenées à remplacer une partie des réversions ….

Ces objectifs doivent être expressément cités dans les attributions de la gouvernance, si on ne veut pas les oublier, on se voir opposer une fin de non-recevoir par de futurs dirigeants politiques…

A qui confier l’avenir de nos retraites ?

L’Etat ne peut pas être tout puissant sur tous ces sujets. Le partage des responsabilités entre l’Etat, les partenaires sociaux, les experts, la société civile ne peut pas se résumer à « tout le monde propose, l’Etat décide ». Il doit y avoir une forme de « coresponsabilité » qui doit se traduire par une « coparticipation » à l’instance de pilotage.

On peut cependant différencier par nature de décisions.

Sur l’équilibre financier, si l’Etat (gouvernement et parlement) a, comme aujourd’hui, le dernier mot compte tenu des enjeux macroéconomiques, on doit lui imposer de justifier ces décisions en amont, d’en assumer la responsabilité en aval avec des critères et des modalités d’évaluation indépendantes par un comité d’experts à condition qu’il ne soit pas exclusivement désigné par l’Etat.

Sur les autres aspects du pilotage et notamment l’atteinte ou non des objectifs sociaux, on peut également être amené à faire évoluer certains paramètres des droits contributifs (règles pour acquérir des points) ou des droits non contributifs (droits familiaux, interruptions d’activités …), sans remise en cause de l’équilibre financier : dans ce cas c’est la codécision qui devrait prévaloir. Un avis majoritaire de l’instance devrait entrainer une transposition législative (comme ça existe déjà pour les Accords Nationaux Interprofessionnels). Ce serait un bon moyen d’encourager la responsabilité des acteurs et la pratique du consensus.

Dans un tel processus de co-décision, la place des partenaires sociaux est incontournable. Elle doit être prépondérante compte tenu du poids du travail dans le système, mais d’autres parties prenantes doivent pouvoir se faire entendre.

En effet, les objectifs sociaux sont divers et parfois aux marges du travail. Il ne serait donc pas illégitime d’intégrer à la gouvernance des représentants associatifs sur les questions d’égalité hommes/femmes, de lutte contre l’exclusion, ou encore de vieillissement par exemple, à condition de s’assurer de leur représentativité réelle…

En tout état de cause l’instance de gouvernance (ou les instances) doivent être composées à parité de genre !

Est-ce qu’il faut une instance pour représenter les citoyens ?

Cette idée avancée dans le rapport du Haut-commissaire apparait un peu comme un gadget. Si les partenaires sociaux et la société civile sont correctement représentées, on n’en voit pas l’utilité … sauf à la concevoir comme un contrefeu aux propositions des organisations représentatives…  si ce n’est pas le cas alors son champ d’intervention  ne doit pas être concurrent. Le conseil des citoyens pourrait par exemple avoir pour mission de faire la pédagogie des retraites et de proposer ou de participer à des actions dans ce sens.

La concertation qui reprend va devoir préciser le rôle de chacun dans la gouvernance à venir du régime. La partie n’est gagnée pour les partenaires sociaux qui vont avoir à convaincre que leur place ne peut se limiter à de la figuration, même dans un régime universel. Dans le passé ils ont démontré leur savoir-faire et leur responsabilité dans la gestion des régimes complémentaires. Alors il n’y a pas de raison que l’Etat fasse preuve de défiance à leur égard : la réforme propose un contrat social dans lequel le travail a une place centrale. Ses acteurs doivent en être partie prenante.

5 commentaires sur “La réforme et après ?: quelques réflexions sur la gouvernance du régime universel

  1. Il est très étonnant que d’un côté l’on veuille complètement changer un système de retraites car jugé trop dépendant d’un statut, mais que d’un autre côté l’on reste arc-bouté sur un principe encore plus dépendant d’un statut, les avantages conjugaux, qui non seulement sont non contributifs, mais qui de plus ne sont conditionnés à aucun sacrifice de carrière ni à aucune condition de parentalité. Juste le résultat du hasard des rencontres dans la vie.
    Étonnant que l’on remette en cause la majoration proportionnelle de 10% pour 3 enfants car jugée trop favorable aux hommes, mais que d’un autre côté l’on s’accommode d’un principe encore plus anti redistributif, une « réversion » proportionnelle, sans condition de revenu ni de patrimoine qui amplifie encore plus les écarts entre les veuves riches et les veuves pauvres.
    A-t-on vraiment pris conscience que pour deux personnes ayant accompli des carrières identiques l’une d’elles pourra voir in fine sa pension doubler par rapport à ses homologues professionnels et donc obtenir un taux de remplacement largement supérieur à 100% quand bien-même sa pension personnelle serait déjà importante, uniquement du fait de sa conjugalité ?
    Étonnant de voir à quel point le débat contradicroire sur ce point à été éludé comme s’il s’agissait d’un sujet tabou.
    L’on est en train de définir un système pour l’avenir en supposant que des situations observées aujourd’hui mais issues du passé se reproduiront éternellement.
    Se rend-t-on compte qu’alors que l’on vise la disparition des régimes spéciaux on est en train de créer un régime spécial de la conjugalité qui n’a strictement rien à voir ni avec le travail, ni avec la compensation d’un quelconque sacrifice de carrière ?
    Si l’on vise les mêmes règles d’obtention des droits à pension par le travail, alors la logique commanderait que les règles d’obtention des droits à pension par la solidarité soient les mêmes pour tous. De mon point de vue, en matière de protection sociale, toute référence au code civil est inacceptable. On ne devrait pas faire une retraite juste pour avoir rencontré « la personne qui va bien ».
    Si l’on admet, comme cela semble être le cas pour la quasi totalité d’entre nous, que la retraite doit refléter la carrière, alors les « droits… » conjugaux deviennent un cheval de Troie du système de retraites.
    Les conditions d’accès à la solidarité devraient être les mêmes pour tous, célibataires, mariés, pas mariés. Surtout dans un système de retraites qui se voudrait universel.

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    1. Je suis assez d’accord que droits conjugaux sont anachroniques, de moins en moins en phase avec la réalité sociale; de plus souvent inéquitables y compris avec le système envisagé qui favorise les couples avec un fort écart de pension. L’objectif à terme devrait être de s’en passer quitte à mieux compenser les interruptions de carrière. Mais pour le moment c’est politiquement inatteignable !

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  2. Mais la « réversion Delevoye » est pire que les autres ! Proportionnelle (même pas dégressive en fonction du niveau), sans condition de revenus, sans condition de patrimoine, et même semble-t-il sans condition de non remariage pour les réversions liquidées, ce qui revient à faire profiter du travail du défunt, un parfait étranger à ce dernier !
    On pourrait penser que l’avantage de réversion soit plafonné pour réduire les inégalités mais ce ne semble pas être le cas.
    La « réversion Delevoye » ne favorise pas les couples avec fort écart de pension, elle favorise en priorité les couples homogames qui se trouvaient auparavant exclus de la réversion Sécu par une condition de revenus (universelle…), et qui en bénéficieront à plein et sans limite maintenant. Or ces couples homogames se retrouvent parmi les plus diplômés donc parmi les ménages qui ont vocation à être les plus riches.
    Les couples hétérogames font les frais de la « réversion Delevoye », car l’un des deux membres peut être privé de réversion quand bien-même il aurait une pension tout à fait moyenne, ce qui n’est pas le cas des couples homogames.
    Les PACSés sont exclus, les concubins sont exclus, les célibataires qui sont potentiellement les moins favorisés doivent se débrouiller seuls.
    Et je suis d’accord avec vous, ce qu’il faut compenser ce sont les interruptions (involontaires) de carrière ! C’est là qu’il faut mettre le paquet, ça personne ne pourra jamais le contester.

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    1. , auj il n’y a pas de condition de ressources dans la fonction publique, et il y a un plafond très élevé pour les complémentaires du privé. Donc les cadres privés et publics bénéficient de conditions de réversion très favorables. Je confirme que ce qui est proposé est moins favorable pour les couples dont le niveau de revenu est proche, plus favorable pour le survivant d’un couple qui un écart important, voire mono actif. Mais je partage l’idée que l’on pourrait plafonner. On pourrait aussi imaginer faire payer une contribution spécifique aux couples qui souhaitent faire bénéficier d’une réversion au conjoint survivant.

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  3. Il n’y a pas de condition de ressources dans la FP mais il y a une condition de non remariage, non PACS, non concubinage et le taux de réversion est de 50%. Ce taux est de 60% pour les complémentaires avec des règles assez voisines de non remariage.
    Mais la retraite du privé est composée de base + complémentaire. Grosso modo, les plus aisés sont exclus de la réversion sur la base Sécu (taux 54%) et n’ont que la réversion sur la partie complémentaire (taux 60%).

    Avec la « réversion Delevoye » les couples homogames (retraites identiques) aisés qui étaient exclus de la réversion sur la base Sécu bénéficieront chacun d’une réversion sur la totalité (et pas seulement sur la complémentaire). Pour les couples hétérogames, le gain n’est significatif que pour le survivant d’un couple mono-actif sans droits propres, ce qui est de plus en plus rare et concerne essentiellement des personnes qui ont déjà liquidé la réversion, à la condition supplémentaire que le défunt ait eu une pension de droit propre importante. Mais cela ne va pas dans le sens d’une redistribution.

    L’exemple cité dans rapport Delevoye ne montre pas de gain vraiment significatif. Il manquait par contre l’exemple d’un couple homogame à 3000 Euros de pension chacun, mais cela aurait probablement choqué le lecteur…. Dommage car cela existe et existera de plus en plus.

    A défaut d’une condition de revenus/patrimoine je reste surpris que l’idée d’un plafond n’ai pas été évoquée. Un plafond de l’avantage de réversion limité par exemple à la pension moyenne observée.
    Dans son rapport de 2015 sur la réversion, la Cour des Comptes avait proposé d’instaurer une condition de revenus dans les régimes qui n’en comportaient pas. En 2019 virage à 180 degrés…..

    Mais bon, là n’est pas le problème de fond. Et à mon avis, la « réversion Delevoye » ne résistera pas mieux à l’analyse objective de la question présentée sous l’angle des conditions d’accès à la solidarité que l’on peut légitimement vouloir être identiques pour tous.
    Lorsque je vois les conditions sévères qui furent imposées après la libération pour la réversion, j’ai tendance à penser qu’avec une société telle que celle que nous connaissons aujourd’hui, la réversion n’aurait pas existé.
    Mais tant de choses sont remises en question, que cet aspect du RU a probablement été traité à la va-vite et sans vrai débat contradictoire. Peut-être dans la future plateforme de consultation citoyenne ?
    En tous cas, rien pendant la première consultation citoyenne ne laissait penser à cette « solution » présentée bien après la fin de cette consultation, et alignée sur le document 11 de la réunion du COR du 31 janvier.

    Merci en tous cas pour cet échange.

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